La Ville de Rennes et Rennes Métropole ont récemment mis en place un entrepôt accessible à tous de données publiques leur appartenant. On trouve sur ce site www.data.rennes-metropole.fr des informations concernant les transports, les données de la base « Guide Vivre à Rennes » ou des informations du Système d'Information Géographique (SIG) de la Ville de Rennes et de Rennes Métropole.
Cette ouverture des données est largement mise en avant par Rennes Métropole et la Ville de Rennes, avec un concours de 50.000 € de prix, une couverture médiatique comme cet article de Télérama ou la réception d'un « prix européen e-démocratie » lors du World e.Gov Forum.
L'ambition affichée est de « permettre aux usagers, aux développeurs, aux entreprises de s’approprier et de retravailler les données mises à disposition pour créer de nouveaux services utiles au grand public. » En tant que développeur et contributeur à la communauté des logiciels et œuvres Libres, je ne ne peux qu'adhérer à cette vision des choses. Permettre à quiconque d'utiliser des données publiques et les réutiliser dans d'autres œuvres est pour moi crucial.
Donc, comme tout bon utilisateur potentiel, je me suis précipité sur les conditions d'utilisation[1]. Et là j'ai été plutôt surpris ! En particulier l'article 4, « Obligations du Réutilisateur » précise :
Conformément à l’article 12 de la Loi, le Licencié s’engage à ce que les Informations ne soient pas altérées ni leur sens dénaturé. Le Licencié veillera à respecter l'intégrité des données, et notamment à ne pas les dénaturer et/ou tronquer. L'insertion de commentaires doit être clairement distinguée du contenu du concédant.
En d'autres termes, il m'est impossible de réutiliser les données dans d'autres œuvres composites, car en les intégrant je vais très certainement « dénaturer ou tronquer » les données. Un comble pour des données soit disant « ouvertes » ! Notez bien au passage que l'article 12 de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 précise bien que « Sauf accord de l'administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées. » Donc un accord de l'administration peut permettre une réutilisation plus libre des données.
Prenons un exemple concret : imaginons que je veuille ré-intégrer la « localisation des points d'apport volontaire des déchets ménagers » dans la carte libre OpenStreetMap. Cette carte est ouverte, enrichie en permanence par des volontaires à l'échelle planétaire et Rennes y est très bien cartographiée. La localisation des conteneurs à déchets y serait très utile, ce serait un geste citoyen. Et pourtant avec la licence actuelle, c'est impossible. Je devrais forcément transformer les données pour les intégrer. Et comme la carte OpenStreetMap doit pouvoir être redistribuée et modifiable par n'importe qui, il m'est impossible d'y intégrer des données ayant de telles contraintes de contrôle d'intégrité.
Ce que Rennes Métropole aurait dû faire
Le plus drôle dans cette histoire, c'est que d'autres acteurs ont tout compris. Rennes Métropole et la Ville de Rennes ne font que recopier ces acteurs, mais en faisant tout de travers par cette licence inadéquate !
L'article de Télérama est éclairant sur ce point. Outre OpenStreetMap, Antoine Mairé y cite l'exemple des villes anglo-saxones qui ont ouvertes leur données, comme l'initiative anglaise Data.gov.uk. Mais quand on regarde les conditions d'utilisation de Data.gov.uk, on y lit que la personne réutilisant les données a le droit :
de copier, publier, distribuer et transmettre les données ;
d'adapter les données ; (le point crucial !)
d'exploiter commercialement des données, en combinant par exemple ces données avec d'autres données ou en l'incluant dans votre produit ou application.
La Ville de Rennes et Rennes Métropole aurait dû utiliser une licence inspirée des licences d'œuvres libres comme Creative Common BY ou BY-SA permettant à quiconque de transformer et intégrer les données. Sans ces conditions, les données « ouvertes » de Rennes Métropole sont inutilisables dans d'autres œuvres ou programmes, à l'opposé même du but initial de permettre aux usagers de s'approprier les données.
Peut-être qu'un jour nous aurons des données réellement ouvertes, et réellement réutilisables ! En attendant, passez votre chemin, il n'y a rien à voir sur data.rennes-metropole.fr.
Notes
[1] Lisez les, elles sont courtes et plutôt lisibles.
Comments
Wed 20 Oct 2010
Ok, je ne suis pas spécialiste des licences et de leur interprétation.
Mais n'y a-t-il pas un boulevard d'interprétations possibles entre l'altération et le non respect de l'intégrité d'une part, et la nécessité d'adaptation à un autre format ? (avec l'exemple que tu donnes pour OSM)
Ne vaudrait-il pas le coup d'interroger directement Rennes Métropole sur ce point ?
En espérant qu'ils tomberont sur ce billet et y répondront ...
Wed 20 Oct 2010
@danc Je ne suis pas juriste non plus et j'ai pu mal lire la licence. Mais c'est en tout cas la lecture que j'ai à l'heure actuelle. Et il y a pas mal d'autres points de la licence qui m'ont fait tiquer (l'obligation de mettre à jour par exemple). J'en parlerai à Rennes Métropole.
Wed 20 Oct 2010
Ben j'allais faire exactement le même commentaire que danc.
«car en les intégrant je vais très certainement « dénaturer ou tronquer » les données»
Je trouve ça bien réducteur comme point de vue.
Par ailleurs, un minimum de respect de l'intégrité (i.e de ... sémantique) des données initiales me semble bienvenu.
Je vois pas trop de quelle manière on pourrait "nécessairement" dénaturer la liste des points de collecte.
Keep cool. Be ... open :D
Thu 21 Oct 2010
Bravo :)
Chouette article.
Et merci notamment pour le lien (parmi plein d'autres :)) vers la « Open government licence » anglaise, très intéressante et à proposer en modèle aux administrations françaises. En effet on y trouve ce genre de précautions « ensure that you do not use the Information in a way that suggests any official status or that the Information Provider endorses you or your use of the Information; » qui correspond bien aux besoins de protection des institutions.
Thu 21 Oct 2010
@Nawa Merci. Très bonne remarque sur la licence anglaise, c'est effectivement ce genre de clause que devrait utiliser Rennes Métropole.
@GMR La licence d'OpenStreetMap permet à quiconque de modifier à sa guise les données dans les versions dérives (licence CC-BY-SA), donc même si je fais attention de ne pas « dénaturer ou tronquer » les données, je n'ai aucune garantie que quelqu'un n'en fera pas de même sur une version dérivée. Et même dans l'OpenStreetMap d'origine, n'importe qui est libre de supprimer la moitié des points s'il juge qu'ils sont, par exemple, inexactes. Les deux licences sont clairement incompatibles. Et ce n'est pas OpenStreetMap qui s'adaptera. ;-)
Thu 21 Oct 2010
@GMR : si Rennes choisit d'ouvrir ses données, pourquoi ne pas donner réellement la possibilité aux citoyens de les utiliser ? Qu'apporte cette clause pointée par David à Rennes Métropole ? Rien ! Qu'apporte cette clause aux citoyens ? des contraintes.
Si on souhaite que ses données soient vraiment utiles, on choisit une licence qui permettent une utilisation la plus large et la moins contraignante possible.
Les données publiques de Rennes et d'ailleurs sont payées, directement ou non, par nos impôts. Elles devraient donc toutes êtres fournies avec une licence qui laisse le plus de liberté possible (idéalement le domaine public mais ce ne doit pas être possible en France).
Fri 22 Oct 2010
Si "un accord de l'administration peut permettre une réutilisation plus libre des données" ça montre qu'ils n'y a pas vraiment de barrières mais...
On ouvre pour que n'importe qui (qu'on aime bien) puisse en faire n'importe quoi (qui nous plaise).
Il ne faudrait peut être pas qu'une appli puisse montrer certains disfonctionnement de la métropole?
Je sais, je suis mauvaise langue, et peut être qu'ils veulent juste se prémunir contre des "abus"(?) d'utilisation.
Fri 22 Oct 2010
À noter qu'à l'origine, les premières données distribuées (API LeVéloStar) l'étaient sous licence CC-by-NC-ND, ce qui revient un peu au même que la licence actuelle (en excluant le -NC). Et une des ébauches de licence (rédigée par l'APIE) un moment publiée pour la partie Rennes Métropole était bien pire en contenu, il me semble: ainsi, un des articles demandait au licencié de renouveller annuellement l'accord de licence (!).
Après, effectivement, l'application à la lettre et stricte de la clause de non modification serait assez tordue, en particulier en fonction des types de données: n'aurais-je pas le droit de faire une moyenne du nombre de vélo à une station pendant une période donnée?
Je pense que les gens derrière cette initiative OpenData sont encore relativement naïfs et/ou paranoïaques point de vue licences libres et qu'il est sans doute nécessaire de les accompagner ou les corriger. Le libre n'est pas encore dans les moeurs de tous.
Wed 24 Nov 2010
Bonjour,
Il me semble que cet article oublie de dire que Rennes métropole est lié à la loi française et ne fait que reprendre l’article 12 de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : http://www.legifrance.gouv.fr/affic...
On retrouve d’ailleurs ce point dans la licence information publique : http://www.rip.justice.fr/informati...
Contrairement à ce que vous dites, il est tout à fait possible d’utiliser l’info publique mais pas de dénaturer son sens… Autrement dit, vous ne pouvez pas vous prévaloir d’une autorité publique pour imposer un point de vue différent de celui véhiculer par l’information.
Je suis d’accord que ceci laisse libre cours à l’interprétation. La licence IP est en ce sens plus explicite : en cas de litige, on a 90 jours, à partir de la notification pour trouver une solution amiable (sous entendu, on fait ce qu’on veut tant qu’on ne se fait pas taper sur les doigts).
Si on devait faire une comparaison, ce serait avec la licence LGPL : vous devez séparer les données publique de l'interprétation que vous en faites, comme on sépare le programme de sa bibliothèque LGPL.
Pour ma part, je noterais un autre point que vous n’avez pas soulevé et qui, à mon sens, est bien plus contraignant puisque le licencié s’engage à « prendre en compte dans un délai raisonnable les mises à jour des Informations publiques réutilisées », ce qui doit vraisemblablement poser problème dans certains cas mais qui est au cœur de la réutilisation de la donnée publique.
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